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Roland MARTIN, Maire de Charquemont
Avec 2700 habitants en 2019, Charquemont est une bourgade de montagne qui a su rester fidèle à son passé, tout en s’adaptant aux impératifs de la vie moderne. Plusieurs exploitations agricoles y pratiquent encore l’élevage des vaches montbéliardes sans renier les chevaux comtois dont la Montagne de Maiche est le pays de prédilection. Comme partout sur ce plateau de la Franche-Montagne, entre les vallées du Doubs et du Dessoubre, la production laitière y voisine traditionnellement avec l’exploitation forestière des résineux. La fruitière de Charquemont, alliée à celle du Luthier, vend du fromage de Comté, de l’Emmenthal, du Morbier, de la crème et du beurre. Les riches forêts de sapins et d’épicéas fournissent une matière première de qualité aux grandes scieries mécaniques locales ou lointaines et alimentent des usines de pâte à papier, et plus récemment des chaudières à copeaux.
Une partie non négligeable de la population de Charquemont vit de l’horlogerie, mais il est depuis longtemps révolu le temps où les paysans-horlogers travaillaient « sur la fenêtre » en petits ateliers familiaux. Avec la même conscience professionnelle que leurs devanciers, les successeurs de ces artisans artistes sont aujourd’hui groupés dans des usines dont l’équipement technique très poussé accroit la haute qualification de la main d’œuvre. Les fabriques de pièces détachées, comme les ateliers de finition de la montre contribuent au bon renom de l’horlogerie de Charquemont sur le marché national et international. Des entreprises horlogères telles que HERBELIN, SAINT-HONORE, FRESARD, et quelques autres, voisinent avec des ateliers de microtechnique tels entre autres, ceux de FRESARD-COMPOSANTS, PERRENOUD, et RUBIS-PRECIS. Les ateliers de la Suisse voisine attirent aussi de nombreux travailleurs frontaliers.
Charquemont est traversé, du sud au nord, par la N 454, voie de passage importante qui à partir de Neuchâtel, via La Chaux de Fonds et Maîche conduit jusqu’à Besançon. C’est une branche méconnue de la fameuse route des « Microtechniques. » Grâce à elle se trouve relativisé l’isolement dont souffrait le plateau de Maîche. Elle permet, entre autres, aux fervents de sports d’hiver, skieurs ou randonneurs, amateurs de descente ou de longues balades à travers la forêt enneigée, d’atteindre le pied des remontées mécaniques des pistes de skis, le départ des itinéraires balisés ou la patinoire. A la belle saison, Charquemont et son environnement naturel offrent de nombreuses occasions de dépaysement excursions pédestres dans ses forêts de sapins, promenades à cheval, accro-branches, via ferrata aux Echelles de la Mort, etc …. L’air frais si tonique de ce coin du Haut-Doubs horloger redonne de belles couleurs aux enfants du pays de Montbéliard qui se succèdent dans les classes de neige ou les classes vertes, à la « Combe Saint Pierre. »
Nous ne possédons pas de plan de Charquemont antérieur à 1760. (figure 1) Celui-ci montre la voie de passage nord sud à travers la localité. On s’interroge encore sur l’origine du nom de Charquemont : il est hors de doute que la seconde partie de l’appellation, « MONT », évoque la situation en altitude ; l’étymologie de la première partie vient pour certains, du latin « essartus », un essart étant le résultat du défrichement dans une contrée boisée. Dans les veillées d’autrefois les anciens évoquaient une autre étymologie plus convaincante pour la première partie du nom de Charquemont : « CHARQUE » viendrait de charrière qui signifie voie de passage pour les chariots et charrettes. Ce passage depuis Maîche utilisait un ensellement puis un replat. Toujours est-il qu’à l’époque des plus anciennes mentions écrites concernant le plateau de Maîche, c’est-à-dire au XIIe siècle, celui-ci est encore tout couvert de joux, vastes forêts de résineux, domaine des chasseurs et des collecteurs de poix. La région est alors aux mains des comtes de Montbéliard qui la font administrer par leur branche cadette et des vassaux de celle-ci, parmi lesquels les comtes de « la Roche en Montagne. » Ceux-ci ont fait bâtir leur château principal à l’entrée d’une vaste cavité de la vallée du Doubs en amont de Saint Hippolyte, ainsi que le « chaitel » de Maîche (figure 2) sur une des collines dominant cette bourgade du plateau. En cas de danger les habitants pouvaient s’y réfugier ou « se retraire » avec leurs bêtes et leurs biens.
Au XIVe siècle le territoire où va se développer Charquemont est en cours de défrichement, particulièrement « les côtes » du Doubs au dessus du lieu dit « la Mort ». En face, sur la rive droite, les colons du Prince Evêque de Bâle défrichaient également en aval de Biaufond, ce qui allait devenir le territoire des Franches-Montagnes-des-Bois. C’est de 1339 que date la plus ancienne mention connue de Charquemont (1), à l’occasion d’un traité de partage territorial daté du « jeudy après la feste de la Pentecoste ». Le titulaire du comté de la Roche, Richard, est mort le 24 mars précédent. Il a pour héritiers ses deux filles Jeanne et Marguerite et son frère Odon Ill, sire de Châtillon-sous-Maîche. Le comté est partagé en trois et Charquemont fait partie du lot de Marguerite. Lorsqu’elle meurt en 1356, Charquemont devient propriété de son fils Richard. En 1386, lors d’un nouveau partage de la seigneurie de Maîche, Henri de Villersexel, Comte de La Roche, conserve la propriété de la localité de Charquemont. La bourgade reste par la suite aux mains des familles qui possédent le comté de La Roche jusqu’à la Révolution, y compris les Montjoie.
Le bâtiment le plus ancien conservé à Charquemont est le chevet de l’église actuelle. Il est de style gothique tardif avec de belles voûtes visibles à l’intérieur et des contreforts élevés les soutenant l’extérieur. L’un d’eux porte à son sommet la date de 1635. En réalité une chapelle plus modeste existait à ce même emplacement depuis le 25 novembre 1510 : au départ ce n’était qu’un petit sanctuaire où le clergé de Maîche venait célébrer pour les habitants du village et des granges des écarts de Charquemont. Mais autant les « granges », les maisons du village que la « chapelotte » étaient essentiellement bâties en bois. Il n’y avait pas de cimetière sur place et les corps des défunts étaient transportés par la « vie aux morts » jusqu’à celui de l’église de Maîche. Les paroissiens de Charquemont obtinrent le 28 novembre 1520, l’autorisation épiscopale, moyennant la somme de 20 livres, de bâtir chez eux, en dur, une chapelle, qui, terminée, était dotée de fonts baptismaux, et d’un cimetière entourant l’église. A partir de 1526 il y eut à Charquemont des vicaires résidant dans une ancienne maison rurale transformée en cure, située au sud de l’église. L’église fut transformée et agrandie plusieurs fois, jusqu’à prendre son aspect actuel en 1935. Les plus grandes transformations extérieures ont concerné le sommet du clocher et le transept sud qui a été rallongé. A l’intérieur les baies gothiques du chœur ont été remplacées par des fresques et le retable en bois du XVIIIe siècle par une mosaïque moderne représentant le martyre de Saint Etienne, patron de la paroisse. Chacune des transformations est signe d’un accroissement démographique et d’un enrichissement. A l’est de l’église au bord d’un ancien chemin allant de Charquemont à la Seignotte de Damprichard, au lieu dit « La Charrerotte » se trouve une ferme à la façade orientée au sud et protégée des vents d’est et d’ouest par des contreforts. (à droite ci-dessous) Elle a échappé au moins partiellement à l’incendie du 24 octobre 1870 qui a détruit 16 maisons du centre du village mettant à la rue 50 familles soit 200 personnes à l’entrée de l’hiver. Son style de construction et sa présence sur le premier cadastre de 1811 (flèche sur la figure 4) ainsi que sur l’ancien plan de 1760 (flèche sur la figure 1) prouvent qu’elle existait déjà au XVIIIe siècle. Son intérêt est de présenter des fenêtres jumelées qui sur deux niveaux servaient aux paysans-horlogers d’autrefois à éclairer le mieux possible leurs ateliers dits « sur la fenêtre. » Sur le côté et à l’arrière se remarquent plusieurs entrées donnant accès à des logements annexes de l’habitation principale, ce qui permettait de rassembler sous un même toit plusieurs générations.
(1) A savoir, 4 aux Essarts, 7 à la Combe St Pierre, 6 à la chapelle du Vaudey et au Bois Banal, 12 aux Refrains et aux Gaillots le long du Doubs, 6 sur les Bans, Cerneux-Bonnembert, Fontenottes, Cotard-Jourdain et Pré-Roussel, 15 au Creux et sur le chemin allant à Blancheroche, 5 dans la partie de Blancheroche qui était alors du ressort de Charquemont.
Sur le plan de 1760, les voies principales se présentaient comme de larges rubans de communal herbeux, fréquenté aussi bien par les troupeaux se rendant aux pâturages que par les charrettes et autres moyens de transport. Au nord de la Charrerotte, l’un d’eux conduisait aux Essarts et à Damprichard. On y voit une grande ferme située au début de la rue côté gauche, (flèche sur la figure 3) et plus loin, une autre maison rurale à laquelle aboutit, sur le plan, une ligne figurant la murette levée entre le communal et les champs cultivés des riverains. Le plan cadastral de 1811, représente encore, la ferme de la Charrerotte (flèche), la bande de communal avec la grande ferme à l’entrée. Mais la seconde ferme de cette rue se présente sous la forme d’un bâtiment au plan plus complexe, appartenant alors à la famille de Hugues Joseph MOUGIN, maréchal ferrant ; de l’autre côté de la rue, à droite, deux maisons accolées appartiennent à deux propriétaires différents, dont l’un a construit une loge sur le communal devant chez lui.
A la fin du XIXe siècle la commune a vendu les parcelles de communal le long de la rue. Celle-ci est maintenant moins large et bordée de maisons sur les deux côtés, en particulier à gauche, avec l’ancienne usine d’horlogerie WALKER, important établissement horloger du début du XXe siècle avec sur deux niveaux, 30 à 40 postes de travail. L’entreprise était d’abord spécialisée dans le montage des montres, plus tard dans la fabrication des roues de cylindre et enfin après 1925 dans celle des roues d’ancre. A côté, dans un ancien bâtiment de ferme, Paul WASNER a débuté avec la fabrication des montres boules et des montres huit jours, dont on ne remontait le solide ressort qu’une fois par semaine. En 1869, il y avait déjà à Charquemont 138 ateliers produisant des pièces d’horlogerie et employant près de 500 ouvriers. Et ces nombres augmentèrent encore par la suite. La place centrale de Charquemont a perdu, pour cause d’incendie, son caractère rural. Les maisons au nord de l’église sont à présent alignées sur le seul bâtiment que le feu a épargné parce qu’il était couvert de tuiles et non de bardeaux ou tavaillons comme les autres. Aujourd’hui une boulangerie et un hôtel-restaurant sont les seuls commerces en activité sur cette place. La mairie construite après 1870 et l’actuelle école primaire en occupent le coin nord-ouest. Au sud de la place, un presbytère plus fonctionnel a été rebâti pendant et après la révolution à l’emplacement de l’ancienne ferme qui avait été transformée en maison curiale.
Dans l’alignement se trouvent une ancienne école primaire actuellement bureau de poste et des maisons de rapport dont la plus imposante, à l’extrémité ouest de la place à également été reconstruite suite à un incendie. Elle occupe l’emplacement de l’ancien café de la Liberté, tenu par les opposants catholiques à la municipalité républicaine de 1913. Entre ce café et la mairie, au bord de la route nationale traversant le bourg, se dressaient initialement, un calvaire au fût cannelé, un monumental tilleul et la balance publique. Après 1920 ils ont été remplacés par le monument aux morts. Puis ce dernier a été, à son tour, déplacé en 2008 vers le côté de la place proche du bureau de poste, emplacement qui est plus propice aux commémorations. Actuellement la place et la portion de route qui la borde à l’ouest sont dominées par un autre calvaire, joliment sculpté en 1696 dans le calcaire du pays. A côté a été érigée la stèle à la mémoire d’Alice DOMON, religieuse missionnaire, née à Charquemont en 1937, et disparue en Argentine en 1977 sous le régime de la junte militaire.
En descendant vers le sud en direction de la Suisse la Grande Rue traverse la partie basse du bourg avec encore quelques fermes et pavillons du XIXe siècle, présentant des fenêtres où se pratiquaient les anciennes activités horlogères à domicile. A droite, dans la grande maison de style néo-classique appelée « Le Château » se collectaient jadis les pièces détachées d’horlogerie, avant d’être acheminées en Suisse. Tout de suite au sud, prenait une de ces larges rues herbeuses menant au communal du Pré-Roussel ; elle fut rétrécie à la fin du XIXe siècle et bordée d’ateliers d’horlogerie. Dans cette rue se trouve la plus ancienne maison typiquement horlogère de Charquemont, la seconde à gauche, dite « Maison Paulo », avec ses fenêtres de façade groupées par deux au sud et par trois au nord, partiellement murées aujourd’hui. Vers le bas du village on trouve quelques-uns des commerces du Charque-mont d’aujourd’hui : la fruitière ou fromagerie, la pâtisserie, une banque, la boucherie et une pharmacie moderne, alternant avec des maisons plus anciennes aujourd’hui plus ou moins délaissées. Vers la sortie du bourg une petite zone d’activités s’est formée avec trois ateliers d’horlogerie modernes, une menuiserie et des entreprises de travaux publics. Sur une petite colline herbue à gauche, une chapelle reconstruite au XIXe siècle garde le souvenir d’un cimetière des pestiférés du XVIIe siècle et d’un ancien lieu de pèlerinage à St Roch.
En montant vers le nord depuis la place centrale par la Grande-Rue en direction de Maîche, on voit aujourd’hui des magasins tels qu’une bijouterie, un tabac-presse, une quincaillerie, un fleuriste, deux garages qui complètent l’équipement commercial très satisfaisant du bourg. On remarque aussi, du côté droit de la rue, deux anciens bâtiments de ferme du XVIIIe siècle à la façade orientée au sud et au large toit débordant au-dessus de la lambrechure. En cherchant bien on peut encore apercevoir, sous la forme de locaux abondamment vitrés, des vestiges des grands ateliers du début du XXe siècle. C’est là que se trouvaient les établissements horlogers des GUILLAUME, des ETEVENARD puis de Pierre FRESARD, ou plus loin celui des associés FRESARD Frères et BESSOT. De vrais « artistes » fabriquaient alors d’abord des échappements à verges puis des assortiments à cylindre qui à partir de 1850 ont fait la réputation de Charquemont dans le monde entier pendant près d’un siècle. C’étaient les BEAUMANN, Louis CHEVAL, les DONZE père et fils, les ERARD, les FRESARD, Louis et Ida PRETOT, les QUENOT, les STRUCHEN, et bien d’autres à domicile ou en atelier.
Lors de l’établissement du plan cadastral de 1811, la localité s’arrêtait au sommet de la première côte qu’il faut grimper en venant de la place centrale. Il n’y avait en tout qu’une quarantaine de maisons. Mais c’était sans compter les nombreux écarts qui regroupaient sur le territoire communal d’alors une population plus nombreuse que celle du bourg-centre. Avec le développement de l’horlogerie, une extension de la localité vers le nord-ouest se produisit le long de la Rue-Neuve prenant à gauche de la Grande-Rue peu après le sommet de la côte. C’était une rue d’horlogers, tant à domicile qu’en ateliers. De nos jours un vaste quartier de pavillons, de villas et d’immeubles collectifs s’étend au-delà de cette Rue-Neuve vers le bas de la côte et vers le sommet de la côte suivante qui domine Charquemont au nord. Les ateliers de microtechniques et des usines modernes d’horlogerie y côtoient les maisons d’habitation. On y voit aussi, les traces du « tacot » reliant entre 1902 et 1952 Morteau à Charquemont, Maîche, Damprichard et Trévillers pour la plus grande satisfaction des patrons de l’horlogerie sur tout le plateau.
S’il fallait une preuve supplémentaire de la vitalité de Charquemont on pourrait faire l’inventaire des maisons particulières ou collectives qui se sont construites ici depuis une dizaine d’années, en lotissements ou sur des terrains privés. Elles sont à la fois la preuve d’un accroissement démographique et l’indice d’un enrichissement.